L’EXPULSION DU LOCATAIRE COMMERCIAL SE FAIT AUX RISQUES ET PERILS DU BAILLEUR

Le bailleur qui obtient une ordonnance de référé constatant l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial, autorisant l’expulsion de son locataire, se pose parfois la question de faire exécuter cette décision, dès lors que le locataire a engagé un recours.

Juridiquement, le bailleur a le droit de faire expulser son locataire, puisqu’il dispose d’un titre exécutoire en ce sens.

L’article L.111-10 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en effet, en son premier alinéa :

« […] l‘exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire à titre provisoire. »

Cette expulsion n’est pourtant pas sans risques, pour le bailleur.

Le second alinéa de l’article L.111-10 précise ainsi :

« L’exécution est poursuivie aux risques du créancier. Celui-ci rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié. »

La solution est ancienne : elle était déjà posée par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 avril 1864.

C’est ce que nos rappelle un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 25 janvier 2023 (RG n° 21-19.089).

Dans les faits, un bailleur commercial obtenait, en 2015, un arrêt confirmant une ordonnance constatant la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire, et le locataire était expulsé.

Après cassation de la décision de 2015, la Cour d’appel de renvoi infirmait l’ordonnance d’expulsion.

Parallèlement, le locataire avait demandé en justice l’annulation du commandement et du procès-verbal d’expulsion, et l’indemnisation des préjudices subis.

La Cour de cassation retient que le locataire évincé en vertu d’une ordonnance infirmée par la suite, a droit non seulement au paiement d’une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial (article L.145-14 du Code de commerce ), mais également à l’indemnisation liée à la perte de son chiffre d’affaires depuis la date de l’expulsion et jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, en vertu de son droit au maintien dans les lieux dont il a été privé (article L.145-28 du Code de commerce ).

Pour le bailleur, les sommes dues peuvent être considérables ; en l’espèce, la somme demandée par le locataire évincé, au titre de sa perte de chiffre d’affaires, s’élevait à 2.430.000 €  !

Plus encore, la jurisprudence retient que le bailleur doit indemniser son cocontractant de tous les préjudices subis, quand bien même le locataire aurait lui-même volontairement exécuté la décision (Cass. Civ. 2 ème , 8 septembre 2011 n° 10-18.645 ).

Cette « responsabilité sans faute » du bailleur a notamment été consacrée, dans un autre domaine, par un arrêt d’Assemblée Plénière du 24 février 2006 (n° 05-12.679) .