L’ACTION EN REQUALIFICATION D’UNE CONVENTION EN BAIL COMMERCIAL

Le statut des baux commerciaux est un statut impératif, en ce qu’il s’impose aux parties dès lors que les conditions en sont réunies (article L.145-1 du Code de commerce).

L’une des conséquences du caractère impératif de ce régime est que, même si les parties ont donné une qualification à leur convention, l’un des cocontractants peut agir en justice pour voir requalifier sa convention locative en bail commercial.

C’est une application du deuxième alinéa de l’article 12 du Code de procédure civile, qui dispose :

« [Le juge] doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. »

En matière de location immobilière, il arrive donc que l’un ou l’autre des parties revendique le statut des baux commerciaux ; soit parce que l’acte conclu a irrégulièrement retenu une autre qualification, soit parce qu’il a été laissé en possession des locaux à l’issue d’un bail dérogatoire (article L.145-5 du Code de commerce).

Ainsi, l’article L.145-5 du Code de commerce prévoit que des baux dérogatoires successifs portant sur un même local peuvent être conclus pour une durée maximale de trois ans (deux ans, avant la loi Pinel), et que « si, à l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre », c’est-à-dire un bail commercial.

La question se pose alors de la faculté pour une partie de saisir le juge pour lui demander de requalifier sa convention en bail commercial, lui permettant ainsi de bénéficier des avantages du statut, mais aussi dans que délai une telle action peut être engagée.

L’article L.145-60 du Code de commerce prévoit que toutes les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans (et ce, par dérogation au délai de prescription de droit commun, d’une durée de cinq ans, prévu à l’article 2224 du Code civil).

S’il est acquis que le délai de prescription biennale s’applique aux actions tendant à obtenir la requalification d’une convention locative en un bail commercial soumis au statut (Cass. Civ. 3ème, 29 octobre 2008, pourvoi n° 07-16.185 ; Cass. Civ. 3ème, 23 novembre 2011, pourvoi n° 10-24.163, publié au Bulletin ; Cass. Civ. 3ème, 7 décembre 2022, pourvoi n° 21-23.103, publié au Bulletin), en revanche le point de départ de ce délai a fait l’objet d’appréciations diverses.

Aux termes de deux arrêts rendus le 25 mai 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser sa position sur ces sujets. 

D’une part, elle rappelle que l’action qui tend à faire constater l’existence d’un bail commercial, soumis au régime prévu par les articles L.145-1 et suivants du Code de commerce, n’est soumise à aucune prescription lorsque l’existence du bail commercial découle de plein droit de l’application des dispositions de l’article L.145-5 du Code de commerce (Cass. Civ. 3ème, 25 mai 2023, pourvoi n° 21-23.007, Publié au bulletin : « la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, n’est pas soumise à prescription »).

La solution n’est pas nouvelle : dans un arrêt du 1er octobre 2014 (Cass. Civ. 3ème, 1er octobre 2014, pourvoi n° 13-16.806, publié au Bulletin), la Cour de cassation indiquait : « la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, n’est pas soumise à la prescription biennale ».

D’autre part, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence à propos du point de départ de l’action en requalification d’un contrat en bail commercial. 

Auparavant, elle considérait que : « le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d’une convention en bail commercial court à compter de la date de la conclusion du contrat, peu important que celui-ci ait été renouvelé par avenants successifs » (Cass. Civ. 3ème, 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-23.590, publié au Bulletin).

Cette solution constante a été réitérée à de très nombreuses reprises, y compris récemment (Cass. Civ. 3ème, 7 décembre 2022, pourvoi n° 21-23.103, publié au Bulletin ; Cass. Civ. 3ème, 28 septembre 2022, pourvoi n° 21-17.907 ; Cass. Civ. 3ème, 29 novembre 2018, pourvoi n° 17-24.715 ; Cass. Civ. 3ème, 22 mars 2018, pourvois n° 17-13.084 et n° 17-13.103 ; Cass. Civ. 3ème, 3 décembre 2015, pourvoi n° 14-19.146, publié au Bulletin) mais elle a été critiquée par une partie de la doctrine, notamment depuis la loi « Pinel » du 18 juin 2014.

Le point de départ du délai de prescription biennal étant fixé par la jurisprudence à la date de conclusion de la première convention locative conclue entre les parties, cela leur imposait donc d’agir dans les deux ans du début du bail, faute de quoi l’action en requalification était jugée prescrite.

Dans son second arrêt rendu le 25 mai 2023 (Cass. Civ. 3ème, 25 mai 2023, pourvoi n° 22-15.946, Publié au bulletin), la Cour de cassation revient sur cette jurisprudence. 

Désormais, elle retient que : « Le délai de prescription biennale applicable à l’action en requalification d’un contrat en bail commercial court, même en présence d’une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux, à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherchée », et non la date de conclusion de la convention initiale.

L’action en requalification d’une convention en bail commercial est donc facilitée, à tout le moins sur le plan du délai de prescription.